Imaginez. Vous êtes chez votre ami Marc alors que l’après-midi se fait caniculaire. Il vous propose un verre de jus d’orange, et vous l’acceptez sans hésitation. “Tu veux des glaçons artificiels dans ton verre ?”, s’enquiert-il, visiblement amusé par sa propre plaisanterie, tandis que ses mains s’engouffrent déjà dans le congélateur pour y saisir le moule à glaçons.
Glaçons artificiels. Le terme est saugrenu, mais il n’est pas complètement dénué de sens. Après tout, cette glace ne provient pas d’un lac gelé. Nous ne sommes plus au XIXe siècle, période où l’industrie de la glace transportait encore jusqu’à ses clients, par navire ou par train, sa glace récoltée à la surface d’étangs naturellement gelés. Les glaçons de votre ami, eux, se sont formés dans un congélateur domestique, appareil électrique qui s’est démocratisé à partir de la seconde moitié du XXe siècle seulement.
Il n’en demeure pas moins que le terme “artificiel” semble complètement superflu ici. Les glaçons flottant dans votre jus d’orange n’étant rien d’autre que de l’eau gelée, l’adjectif “artificiel” vous frappe par son manque de pertinence. C’est de la glace, point barre.
le buzz sur la toile
Le 2 décembre, les autorités sanitaires singapouriennes ont autorisé la commercialisation de viande cultivée. Une première mondiale. Forte de cette carte blanche, l’entreprise américaine Eat Just ambitionne de vendre d’ici peu ses nuggets à base de viande de poulet cultivée dans les restaurants de la cité-état. La nouvelle fait encore le buzz sur la toile, et on ne compte plus les articles annonçant l’arrivée de ce nouveau produit sur le marché.
Pourtant, à en croire les gros titres, la viande cultivée serait une viande “artificielle”, qu’il faudrait donc distinguer de la viande conventionnelle, “naturelle” quant à elle puisqu’issue du corps d’un animal abattu.
On peut d’abord s’interroger sur la naturalité de la viande conventionnelle. Dans les élevages industriels, les animaux sont le fruit d’une sélection artificielle intense, dont l’objectif premier est d’optimiser la production de viande, de lait et d’œufs. Par exemple, les poulets de chair grossissent aujourd’hui 4 fois plus vite que ceux élevés dans les années 50 ; une poule pond environ 300 œufs par an alors que sa cousine sauvage n’en pond qu’une vingtaine dans le même laps de temps. Les animaux, inséminés artificiellement, sont séquestrés dans des bâtiments, et les éleveurs ont recours à des hormones et des antibiotiques. Bref, plus on y réfléchit, et plus il semble ardu de voir la viande conventionnelle comme un produit naturel.