Ira van Eelen, fait autorité dans le débat sur l’alimentation durable. Fille du défunt Willem van Eelen, premier inventeur/chercheur de la viande cultivée, elle a grandi avec ce concept. Elle est également conseillère pour Eat Just. Eat Just est la première entreprise à avoir obtenu une licence pour produire et proposer de la viande cultivée aux consommateurs de Singapour.
Les Pays-Bas, et par extension l’Europe, sont le berceau de la viande cultivée. Votre père, Willem van Eelen, a été le premier à élaborer et à étudier le concept de manière approfondie. Le scientifique néerlandais Mark Post a présenté le premier hamburger à base de viande cultivée en 2013. Pourtant, on constate de plus en plus de percées en dehors de l’Europe. Les Européens ont-il finalement un train de retard ?
En termes d’approbation ou d’introduction, l’Europe a en effet deux ans de retard. La première demande, il y a deux ans, n’a pas été faite en Europe mais à Singapour. Des discussions sur l’approbation et la réglementation sont également en cours depuis un certain temps aux États-Unis. Mais pour l’instant, pas une seule demande n’a été présentée pour l’Union européenne. Toutefois, il peut s’écouler beaucoup de temps avant que l’approbation ne soit un fait. Donc oui, nous sommes définitivement à la traîne en Europe.
Est-ce un gros problème pour les startups européennes qui développent de la viande cultivée ?
Non, parce qu’une introduction tardive sur le marché ne dit rien sur la qualité de la recherche sur la viande cultivée et sur ce qui est développé en Europe. Le retard ne deviendra un réel problème que si les investissements ne sont pas non plus réalisés en Europe. Mais cela reste cependant dommage. La structure actuellement en construction à Singapour pour produire de la viande cultivée implique un investissement de 110 millions d’euros dans l’alimentation durable. C’est une occasion manquée pour l’Union européenne.
En 2018, vous avez organisé une dégustation de ses premiers produits de viande cultivée en collaboration avec Eat Just. Les Autorités néerlandaises de sécurité alimentaire ont mis fin à cette initiative et ont même condamné la viande cultivée. Que s’y est-il passé ?
À cette époque, il ne s’agissait pas seulement d’une dégustation. Nous voulions lancer une première production de viande cultivée aux Pays-Bas pour une consommation à petite échelle, en coopération avec les autorités. À l’époque, il existait un règlement qui permettait de commercialiser temporairement des produits agroalimentaires sûrs, en attendant l’approbation finale de la Commission européenne. Dans le cadre de ce dispositif, plusieurs entreprises proposent leurs produits depuis plusieurs années et ne doivent présenter un dossier européen qu’en 2021. Mais pour la viande cultivée, cela n’était apparemment pas possible.
Quel était donc exactement le problème ?
Un problème politique et beaucoup d’amateurisme. Deux ministères, celui de l’agriculture et celui de la santé, se disputaient à ce sujet. Le ministère de l’Agriculture n’a finalement pas osé aller jusqu’au bout, par crainte des conséquences pour leur nouveau ministre conservateur… Ils n’avaient pas non plus demandé l’expertise d’un autre ministère important, celui des Affaires économiques. Et enfin, il n’y a pas eu de véritable consultation entre les ministères et le ministre responsable. Résultat : la viande cultivée a été condamnée et le ministre responsable ne l’a découvert que bien plus tard, grâce à un documentaire sur la télévision néerlandaise. Mais pour la ministre, c’était politiquement une bonne chose, car elle n’avait pas à justifier ainsi la viande cultivée auprès de ses partisans. L’investissement prévu de 32 millions d’euros dans la première production mondiale de viande cultivée appartient donc également au passé. C’est une honte pour les Pays-Bas. Nous manquons des opportunités, nous ne voulons pas devenir un musée de l’alimentation, n’est-ce pas ?